Une clause de force majeure dans les contrats de franchise : une fausse bonne idée !

Par Rémi de Balmann, Avocat associé D, M & D

Passée cette terrible période de confinement que personne – c’est certain – n’avaient prévue, d’aucuns incitent les franchiseurs à insérer dans leurs contrats une clause dite de « force majeure » destinée – selon eux – à encadrer juridiquement tout nouvel épisode éventuel de pandémie ou tout événement qui viendrait paralyser la relation franchiseur-franchisé.

Est-ce bien nécessaire et pertinent ?

Après tout – pourrait-on objecter – « le pire n’est jamais sûr » (Paul Claudel, Le soulier de Satin 1929).

Mais la période récente n’a-t-elle pas contribué à donner plutôt (et malheureusement !) raison à la loi de Murphy pour qui « le pire est certain » !…

Et en matière contractuelle, qui y a-t-il de pire qu’un « évènement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, (et qui) empêche l’exécution de son obligation par le débiteur » (définition de la force majeure issue de l’article 1218, al. 1 du Code Civil) ?

Prévoir l’imprévisible au travers de la force majeure, c’est donc essayer d’aller au-delà de l’imprévision qui – elle – vise à rééquilibrer une relation que l’évolution de la conjoncture est simplement venue bouleverser sans pour autant l’interrompre.

Or et sans prétendre moindrement tout régler, le Code Civil se borne à poser comme principe et sans autre précision que : « Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations (…) » (alinéa 2 de l’article 1218 du Code Civil).

Au prétexte que l’article 1218 du Code Civil est supplétif (c’est-à-dire qu’il peut y être dérogé par voie contractuelle), faut-il « en rajouter » et vouloir aller au-delà ?…

Pour certains contrats, assurément, insérer une clause de force majeure est fort utile. Songeons ici aux opérations de fusion acquisition et de cession de sociétés : la clause de material adverse change (clause MAC) a pour objet de prémunir l’acquéreur de la survenance d’événements susceptibles d’impacter de façon significative la situation de la société cible, en lui permettant, à certaines conditions, de se libérer du contrat de cession.

Mais inversement et s’agissant des réseaux de franchise, il vaut mieux selon moi ne pas essayer d’encadrer contractuellement la force majeure mais plutôt de laisser ouverte la discussion sur l’application ou non d’une suspension provisoire des obligations réciproques et/ou d’une résolution du contrat.

Comme le souligne avec raison la Professeure Julia Heinich dans un article récent paru au Dalloz (« L’incidence de l’épidémie de coronavirus sur les contrats d’affaire : de la force majeure à l’imprévision », D. 26 mars 2020, n° 11, pages 611/617) : « Une clause de force majeure peut aménager tout ou partie des dispositions légales. Elle n’est cependant pas indispensable, l’article 1218 avant vocation à s’appliquer même en l’absence de clause. Lorsque l’on en insère une, mieux vaut avoir quelque chose à ajouter à la loi, soit du point de vue de la définition, soit du point de vue des effets. A défaut, certaines rédactions peuvent involontairement faire naître des ambiguïtés ouvrant la voie à l’interprétation judiciaire ».

Il est possible, suggère l’auteure, de « prévoir une durée spécifique de suspension en cas de force majeure temporaire, en indiquant, par exemple, que si la suspension due à la force majeure dure plus de x mois, la partie la plus diligente pourra mettre fin au contrat ».

Imagine-t-on le cataclysme qu’une telle clause produirait dans les réseaux de franchise ?

Sans caricaturer et à supposer qu’une clause d’un contrat de franchise stipule qu’au-delà de x mois d’arrêt d’activité, le contrat de franchise est tenu pour résilié, le réseau risquerait tout simplement le délitement, chaque franchisé pouvant exciper de la force majeure pour se délier de ses obligations et quitter l’enseigne !

Et que dire d’une clause qui viendrait prétendre faire payer les franchisés quoi qu’il advienne, au motif que le contrat de franchise ne serait pas suspendu dans tous ses effets ?

Même les enseignes de coiffure dans lesquelles il existe des redevances forfaitaires ont renoncé à exiger paiement de leurs franchisés !

Il est dès lors assez vain juridiquement et économiquement de prétendre – sous couvert d’une clause de force majeure qui serait « bien rédigée » – que les franchisés devraient paiement au franchiseur alors même qu’ils auraient encaissé zéro euro de chiffre d’affaires.

Ainsi donc, insérer aujourd’hui une clause de force majeure en pensant régir la relation de franchise de demain, en cas d’événements constitutifs de force majeure, est une fausse bonne idée.

En revanche, continuer d’écarter dans les contrats de franchise le dispositif institué par la réforme du droit des obligations en matière d’imprévision reste un bon conseil !

Rappelons-nous à cet égard que, selon les objurgations d’un célèbre avocat de franchisés (Serge Meresse, LSA 12 juillet 2016) : « Certains franchiseurs essaieront de glisser dans leurs contrats des clauses de renonciation par le franchisé à certaines dispositions de la loi qui ne sont pas d’ordre public et qui lui sont favorables. Il faudra donc que les franchisés soient vigilants sur ce point ».

Or et jusqu’ici, tout le monde s’accordait pour considérer que n’est pas impératif l’article 1195 du Code Civil en ce qu’il prévoit que : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».

Comme je l’ai fait lors de la Conférence juridique FFF de novembre 2017 (https://urlz.fr/diw4), je soutiens toujours et encore – avant comme après la pandémie de covid-19 – qu’il est difficile du point de vue des franchiseurs de ne pas considérer que cet article 1195 pourrait avoir un effet dévastateur en étant abusivement invoqué par des franchisés qui en viendraient à solliciter une renégociation du contrat de franchise à tout bout de champ !

Et attention à ce que la crise du Covid-19 alimente par trop la thèse selon laquelle il serait salutaire d’interdire aux parties – en l’espèce, franchiseurs et franchisé – d’écarter l’article 1195 du Code Civil.

Là encore, la réflexion est utile pour certains contrats et il est vrai que la crise sanitaire a conduit à se demander s’il était judicieux d’avoir écarté contractuellement les dispositions de l’article 1195 (nouveau) du Code Civil.

Mais, dans le secteur de la franchise, si la crise sanitaire a créé un déséquilibre, c’est bien plutôt au préjudice des franchiseurs !

Sans pouvoir ou vouloir percevoir des redevances, les têtes de réseaux ont assumé plus que jamais un rôle de soutien et d’assistance continue aux franchisés !

Si donc une partie aurait pu demander quelque chose à l’autre, c’est le franchiseur et non le franchisé…

Inversement et en période normale, la révision pour imprévision serait quasi systématiquement sollicitée par des franchisés prompts à invoquer la première difficulté conjoncturelle venue pour arguer d’un « changement de circonstances imprévisible ».

Interdire aux parties d’écarter l’application de l’article 1195 ou suggérer que le juge devrait avoir le dernier mot, nonobstant des clauses d’adaptation conventionnelles, est dès lors là aussi une fausse idée, s’agissant du moins de la relation de franchise.

Après avoir souligné que « rien n’interdit de penser qu’une modification grave des circonstances puisse aller au-delà de ce que les parties avaient prévu », le Professeur Rémy Libchaber se demande aujourd’hui : « Pourquoi ne pas laisser au juge la possibilité subsidiaire d’une vérification de l’équilibre retrouvé, pour peu que l’une des parties la demande ? »

Cependant et pour les franchiseurs, rien de bon ne sortirait de cette « impérativité raisonnée de la révision pour imprévision » (R. Libchaber, Professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne, D. 11 juin 2020, n° 21, « Pour une impérativité raisonnée de la révision pour imprévision », pages 1185/1188).

A moins que l’on veuille exaucer le vœu exprimé déjà en juillet 2016 par Serge Meresse pour qui « les parties seront (…) obligées de discuter et de chercher, de bonne foi, la meilleure des solutions pour renégocier le contrat, dans leur intérêt commun, sous le regard et l’arbitrage du juge ».

Pour ma part et tant au regard de la force majeure que de l’imprévision, je mets en garde contre le risque – sous le louable objectif de lutter juridiquement contre des pandémies à venir – d’inoculer dans les contrats de franchise des clauses potentiellement … pathogènes !