Franchise et compagnonnage : entre tradition et modernité

Par Rémi de Balmann

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La crise que nous affrontons depuis maintenant près d’un an a comme jamais mis en lumière que les contrats d’adhésion à un réseau et tout spécialement les réseaux de franchise sont conclus « dans l’intérêt commun des deux parties », pour reprendre les termes de l’article L. 330- 3 du Code de commerce issu de la loi Doubin.

Plus que jamais franchiseurs et franchisés ont pris la mesure de cette force que constituait le réseau : intelligence collective, partage des informations, effet réseau ! Quel franchisé n’a pas pleinement pris conscience de cet avantage d’appartenir à une enseigne plutôt que d’affronter en solitaire l’épreuve du confinement ? Et quel franchiseur n’a pas de son côté définitivement pris conscience que son intérêt propre passait par les intérêts de tous.

La franchise n’a pas seulement fait montre de résilience, elle a prouvé à ceux qui en douteraient encore qu’elle est capable de réactivité et d’inventivité face à de nouveau enjeux et à de nouveaux modes de consommation.

Et c’est pour le juriste, conseil des réseaux, l’occasion de se poser la question : et si les réseaux étaient en train de muter, de se transformer sous l’effet de cette crise sanitaire ?

Est-ce souhaitable d’ailleurs et comment accompagner ce mouvement ?

A cet égard, l’adaptation contractuelle des réseaux de franchise apparaît comme judicieuse pour relever les défis de l’ère post-covid qui se dessine.

Deux idées fondamentales se faisant jour.

Première idée : mettre toujours plus en évidence dans le contrat de franchise le lien entre réseau et savoir-faire.

Ce n’est pas faire injure aux franchiseurs que de dire que si les enseignes ont bien résisté à la crise sanitaire, c’est moins grâce aux savoirs-faires existants à la date du confinement qu’à l’impérieuse nécessité des réseaux de toujours se réinventer.

On dépasse largement ici la notion de résilience pour aller vers celle de mutation !

Si le savoir-faire doit être actualisé, c’est bien pour permettre la pérennité du réseau et son développement.

Dès lors et si le mot « savoir-faire » doit évidemment figurer en bonne place et à de nombreuses reprises dans un contrat de franchise, celui de « réseau » et plus encore « d’intérêt du réseau » doit tout autant être répété.

Mettre en exergue l’intérêt du réseau dans le contrat de franchise et le faire résonner avec le savoir-faire n’a rien d’artificiel.

Que font souvent les juges lorsqu’il leur est demandé de déterminer si un franchiseur peut ou non se targuer d’un savoir-faire ?

La preuve de l’existence d’un savoir-faire substantiel, les juges vont la rechercher – comme l’a fait par exemple la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence dans un arrêt du 16 novembre 2017 – dans l’ancienneté et le développement du réseau de même que dans les résultats obtenus par les franchisés (C.A. Aix-en-Provence, 16 nov. 2017, RG 2017/375).

Combien de fois ai-je entendu qu’il n’existerait aucun savoir-faire spécifique chez les coiffeurs, chez les agents immobiliers ou encore dans les réseaux d’agence d’intérim ?!…

Plutôt que de céder à l’injonction adverse d’avoir à produire l’intégralité du Manuel Opératoire, n’est-il pas préférable et tout aussi efficace de déduire l’existence du savoir-faire de l’historique du réseau ?…

Avant même que le réseau Epil Center ne devienne Esthetic Center et qu’il soit ensuite racheté par Beauty Success, j’ai ainsi fait juger par la Cour d’Appel de Toulouse le 2 juin 2010 que « la réalité et l’efficacité (du) savoir-faire (du franchiseur) » sont attestés par le développement même du réseau (C.A. Toulouse, 2 juin 2010, RG 08/05043).

Et la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi qui avait été formé à l’encontre de cet arrêt, en approuvant la cour d’appel d’avoir « retenu la réalité du savoir-faire transmis », après avoir « relevé les conditions de développement du réseau qui confirmaient l’utilité du concept fourni » (Cass. Com, 18 oct. 2011, pourvoi n° 10-30.871).

Deuxième idée : lier toujours plus aussi dans le contrat de franchise cette notion de réseau à celle du concept (qui est à distinguer du savoir-faire et qui – en cette période de crise sanitaire – nous rapproche de l’ADN de l’enseigne).

Observons d’ailleurs que cette idée trouve sa source dans l’arrêt historique et fondateur Pronuptia, arrêt rendu le 17 décembre 1986, par la Cour de Justice des Communautés Européennes et qui légitimait les restrictions verticales des contrats de franchise par la nécessité d’assurer et de préserver l’identité et la réputation du réseau, symbolisé par l’enseigne.

Allant plus loin aujourd’hui, on peut songer notamment à un autre arrêt rendu au profit du réseau Epil Center.

Alors même que l’immense majorité des membres du réseau Epil Center avait marqué leur accord pour adopter la nouvelle enseigne Esthetic Center (le concept ayant été largement étoffé et n’étant plus réductible à l’épilation), un franchisé avait contesté judiciairement ce changement d’enseigne.

Or et par un arrêt du 5 février 2014, la Cour d’Appel de Paris a donné raison au franchiseur (C.A. Paris, 5 févr. 2014, RG 12/18858).

Et cet arrêt a été validé par la Cour de Cassation qui a approuvé la cour d’appel d’avoir notamment « relevé que l’adoption de la nouvelle enseigne devait entraîner une progression du chiffre d’affaires des instituts par l’extension des prestations proposées en réponse à l’évolution des besoins de la clientèle, que la nouvelle enseigne était proposée aux franchisés dans des conditions raisonnables de délai, sans investissements lourds et sans modification ni du contenu ni de l’objet du contrat initial » (Cass. Com, 19 janv. 2016, pourvoi n° 14-16.272).

Commentant cet arrêt de janvier 2016 et sous le titre « Le Franchiseur est libre de modifier l’enseigne de son réseau », la Lettre de la Distribution soulignait que : « La gestion d’un réseau de distribution suppose de concilier les nécessaires évolutions que celui-ci est amené à connaître avec le principe d’intangibilité de l’ensemble des contrats qui en matérialise l’existence. Dans la mise en oeuvre de cette conciliation, la jurisprudence est heureusement du côté des franchiseurs, ou plutôt des réalités économiques, en retenant « le droit qu’a tout fournisseur de modifier l’organisation de son réseau de distribution sans que ses cocontractants bénéficient d’un droit acquis au maintien de leur situation » (La Lettre de la Distribution, février 2016, pages 1 et 2).

Ainsi et n’en déplaise à ceux qui voudraient faire du réseau une sorte de bien commun aux franchiseurs et aux franchisés, créé ex nihilo, le code européen de déontologie de la franchise souligne avec raison que : « Le franchiseur est l’initiateur d’un « Réseau de franchise », constitué du franchiseur et des franchisés et dont il a vocation à assurer la pérennité ».

Mais s’il est le premier maître à bord, le franchiseur doit plus que jamais adopter avec ses franchisés une démarche de « co-construction » !

Pour autant qu’il l’ait jamais été, le franchiseur de demain ne doit plus être un Dieu omniscient.

Le franchiseur de demain ne doit pas plus être un pater familias qui règnerait sur ses enfants franchisés. La notion de bon père de famille a d’ailleurs disparu du vocabulaire juridique.

Sans devenir le bon copain, le franchiseur de demain se soit d’être dans le compagnonnage avec ses franchisés.

Une belle façon de concilier tradition et modernité, la France – terre d’élection de la franchise – pouvant s’enorgueillir d’avoir fait inscrire au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO le compagnonnage en tant que « réseau de transmission des savoirs et des identités par le métier ».