11 janvier 2021 – L’intérêt supérieur du réseau : arme de construction massive

Par Rémi de Balmann, Avocat associé D, M & D

 

Plus que jamais en cette période de crise sanitaire, franchiseurs et franchisés ont pris la mesure de cette force que constituait le réseau : intelligence collective, partage des informations, effet réseau…

 

La franchise n’a pas seulement fait montre depuis un an de résilience, elle a prouvé à ceux qui en doutaient encore qu’elle est capable de réactivité et d’inventivité face à de nouveaux défis et à de nouveaux enjeux.

 

Et comme jamais auparavant la crise sanitaire à laquelle nous continuons d’être confrontés a mis en lumière que les contrats d’adhésion à un réseau et tout spécialement les réseaux de franchise sont conclus « dans l’intérêt commun des deux parties », pour reprendre les termes de l’article L. 330- 3 du Code de commerce issu de la loi Doubin.

 

Le code de déontologie européen de la franchise insiste aussi de son côté sur le fait que « les Parties devront (…) rechercher à préserver l’image et la réputation du réseau dans l’exploitation de leur entreprise respective ».

 

Et c’est bien cette notion d’intérêt du réseau qui est mise en avant dans les contrats de franchise pour exprimer l’idée que la relation de franchise n’est pas qu’une relation synallagmatique mais qu’elle s’inscrit dans le cadre de la création et du développement d’un réseau, avec des synergies et des interactions collectives.

 

On parle ainsi beaucoup d’intérêt et même d’intérêt supérieur du réseau.

 

Mais cet intérêt supérieur du réseau n’est-il qu’une incantation ou pire un alibi pour les franchiseurs ou a-t-il trouvé à s’incarner dans la jurisprudence ?

 

Dans sa thèse de 1995 sur les réseaux de distribution, Madame Laurence Amiel Cosme, aujourd’hui Maître de conférences à Paris I Panthéon Sorbonne, écrivait que : « Les tribunaux prennent parfois en considération « l’intérêt du réseau », intérêt collectif qui transcenderait l’intérêt particulier de chaque membre ». Et d’ajouter que « tous les membres du réseau seraient alors soumis à l’obligation générale de ne pas agir au mépris de l’intérêt du réseau ».

 

Peu d’exemples existaient cependant en 1995.

 

A y regarder d’un peu près, il en va différemment aujourd’hui.

 

Prenons tout d’abord l’exemple de l’arrêt de la Cour d’Appel d’Aix en Provence du 21 juin 2018 ((C.A. Aix en Provence, 21/06/18, RG 16/21090).

 

Dans cette affaire, le franchiseur s’est vu reconnaître une part – au demeurant minime – de responsabilité dans l’échec du franchisé, les conseillers aixois ayant estimé que : « (…) S‘il ne peut être reproché à la (société franchiseur) de n’avoir accompli aucun effort en termes de publicité pour promouvoir la marque, il est établi en revanche que les démarches promotionnelles qui pesaient sur elle ont été insuffisantes, étant par ailleurs observé que les différentes actions entreprises par ses soins visaient davantage à assurer un développement des prospects clients plutôt que des prospects partenaires de réseau.

 

Si donc les contrats de franchise prévoient des redevances de communication, c’est bien légitime et c’est pour promouvoir la notoriété du réseau.

 

Par la prise en compte de l’intérêt du réseau, il est tout aussi légitime de tenir pour valable et nécessaire les clauses d’approvisionnement et le référencement de fournisseurs exclusifs.

 

Et c’est bel et bien cette notion d’intérêt du réseau qui est mise en avant par les franchiseurs pour justifier la nécessité de donner un agrément préalable et exprès à tout éventuel nouveau fournisseur à référencer.

 

Dans un arrêt du 12 janvier 2016, la Cour d’Appel de Versailles a ainsi donné tort à un franchisé d’un réseau de centres de lavage sans eau de véhicules qui disait avoir « reçu un échantillon de produit similaire d’une autre marque que celle référencée par le franchiseur » et « qui donnait d’excellents résultats à un coût bien moindre (…) » (C.A. Versailles, 12/01/16, RG 14/02982).

 

Il n’a alors pas échappé à la Cour d’Appel de Versailles qu’une étude comparative d’un magazine professionnel spécialisé classait « premier sur seize » le produit du franchiseur tandis que celui invoqué par le franchisé n’y apparaissait même pas…

 

Autre vertu de cette notion de réseau dont la jurisprudence a fait application notamment dans un arrêt de la Cour d’Appel de Limoges du 28 janvier 2019 : l’intuitu personae pesant sur le franchiseur ne fait pas obstacle à la cession forcée des contrats de franchise dans le cadre d’un plan de cession.

 

La Cour d’Appel de Limoges a alors notamment jugé que « l’offre (…) retenue par le tribunal de commerce était appuyée par (le) fondateur du groupe La Pataterie (…) et présentait des garanties d’exécution permettant d’assurer la pérennité des activités des trois sociétés du groupe et donc celui du réseau avec le maintien et la modernisation du concept initial » (C.A. Limoges, 28/01/19, RG 17/01340).

 

Ainsi donc et parce qu’il appartient à un réseau, un franchisé peut voir son contrat transféré sans son accord dans le cadre d’un plan de cession des actifs.

 

Autre illustration encore tout aussi intéressante : la faute grave du franchisé peut constituer un motif de résiliation immédiate et sans sommation, ni formalité lorsque la poursuite du contrat s’avère impossible ou « contraire à l’intérêt du réseau ».

 

Ainsi en a -t-il été jugé par la Cour d’Appel de Paris dans un arrêt du 16 février 2017 (C.A. Paris, 16/02/17, RG 16/18564).

 

Eclairant également est l’arrêt rendu le 27 mars 2012 par la Cour d’Appel de Versailles dans une affaire Mondial Pare-Brise.

 

Contrairement aux injonctions du franchiseur, un franchisé avait pratiqué des opérations de vente sur des parkings de centres commerciaux.

 

Or, la Cour d’Appel de Versailles va juger que : « (…) quand bien même elle aurait antérieurement autorisé ce type de ventes, dès lors qu’il était à l’évidence dans l’intérêt du réseau des franchisés auxquels ces accords de partenariat négociés avec les assureurs apportent un volume de chiffre d’affaires et de clientèle, la société Mondial Pare-Brise était fondée, dans le cadre d’une nouvelle politique commerciale conforme à la sauvegarde du réseau, à décider d’interdire à ses franchisés de recourir à ces ventes » (C.A. Versailles, 27/03/12, RG 10/09412).

 

Pour finir et s’agissant des clauses post-contractuelles, n’est-ce pas là encore l’intérêt du réseau qui va guider les décisions des juges ?

 

Ainsi et dans un arrêt Epil Center du 5 février 2014, la Cour d’Appel de Paris a validé la clause du contrat de franchise qui faisait interdiction à un multi franchisé sorti du réseau d’apposer sur l’ensemble de ses instituts la même enseigne (C.A. Paris, 05/02/14, RG 12/18858).

 

Et, par arrêt du 19 janvier 2016, la Cour de Cassation a approuvé la Cour d’Appel de Paris d’avoir à cette occasion retenu que « la clause litigieuse n’interdisait pas la poursuite de l’activité du franchisé, mais seulement la création d’un réseau concurrent, qu’elle était limitée, dans le temps, à un an et, dans l’espace, aux villes où les instituts du franchisé étaient exploités, qu’elle était proportionnée à l’intérêt du franchiseur à préserver le réseau existant » (Cass. Com, 19/01/16, pourvoi n° 10-30.871, Lettre de la Distribution, février 2016, pages 1 et 2).

 

Le juge – cette « troisième partie au contrat » comme l’a si justement écrit Monsieur le Professeur Laurent Aynes – contribue ainsi puissamment à consacrer la notion jurisprudentielle d’intérêt du réseau comme ciment d’un développement durable de la franchise.