Franchise et loi Travail ou « La Comédie des erreurs »*

par Rémi de Balmann pour La Correspondance de l’enseigne

Oscillant entre mélodrame et psychodrame, ces derniers mois auront marqué comme jamais le monde des réseaux qui ne s’attendait certes pas à être visé comme il l’a été dans une loi dont l’ambition initiale était notamment de marquer sa « confiance dans les entreprises pour se développer et ainsi développer l’emploi », comme l’assurait dans son exposé des motifs la Ministre du travail, Madame Myriam El Khomri.

Un drame quasi shakespearien mais qui s’est joué en trois actes mal écrits et où imprévisions et imprécisions ont prévalu !

Ainsi donc, l’épilogue n’est pas encore écrit, franchiseurs comme franchisés pouvant espérer que le désormais trop fameux article 29 bis A de la loi Travail connaisse la censure du Conseil Constitutionnel.

Acte 1 : « La guerre des Deux Roses » (in Henri IV de Shakespeare)

C’est peu dire que ce dispositif « anti franchise » a été mal conçu, n’étant au demeurant pas désiré par le Gouvernement. Tout le monde sait désormais que cet article 29 bis A ne figurait pas dans le projet de loi initial « visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs ». Ce n’est que pour rallier à lui la CFDT et tenter de calmer les Frondeurs que le Gouvernement a repris à son compte cette idée d’instituer une « instance de dialogue » qui comprendrait « des représentants des salariés élus (et) un représentant des franchisés » et qui serait « présidée par un représentant du franchiseur ».

Ainsi et pour composer entre les différents courants de sa majorité, le Gouvernement sacrifiait le sacro-saint principe d’indépendance entre franchiseurs et franchisés !

Et il n’est pas indifférent de se souvenir – au regard du grief d’inconstitutionnalité – que le Rapporteur du texte au sein de la commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale avait lui-même objecté à l’un des députés promoteurs de ce dispositif qu’il constituait « une réforme extrêmement lourde », ajoutant que :« En l’état actuel des éléments dont je dispose, il soulève plusieurs questions, notamment juridiques. L’une d’elles tient au choix de l’instance suggérée. Pourquoi ne pas avoir plutôt opté pour la reconnaissance d’une unité économique et sociale (UES) ? Pourquoi avoir choisi une instance de droit commun et non pas une négociation conventionnelle au sein du réseau des franchisés ? (…) ». Or et par le jeu du 49-3, le Gouvernement a fait adopter sans discussion la version de l’amendement dont l’un de ses auteurs, Monsieur le Député Gérard Sébaoun, disait pourtant lui-même que « ce texte était considéré comme un amendement d’appel destiné à susciter un débat que nous aurons certainement en séance » !…

Acte 2 : « Etre ou ne pas être ? » (in Hamlet de Shakespeare)

Saisie du projet de loi Travail, la commission des affaires sociales du Sénat supprimait cet article 29 bis A considéré – avec raison – comme entrant « en contradiction frontale avec le principe même de la franchise ». La campagne de mobilisation initiée et portée par la Fédération Française de la Franchise et à laquelle allaient se rallier plusieurs autres fédérations professionnelles commençait ainsi de porter ses fruits et de faire prévaloir le bon sens.

C’est là d’ailleurs que devrait se nicher un premier motif d’inconstitutionnalité. Comme devait en effet ultérieurement le souligner Monsieur le Sénateur René-Paul Savary, après avoir relevé que « les salariés de l’entrepreneur franchisé ont les mêmes droits sociaux que tous les autres salariés (et ont) droit à une représentation collective dans les règles de droit commun » et que « rien ne justifie, économiquement comme juridiquement, des négociations sociales entre les salariés d’un franchisé et les dirigeants d’un franchiseur qui n’a aucun lien juridique, et notamment d’autorité, sur eux »  : « Cette disposition est contraire à la Constitution. En assimilant les salariés des franchisés à des salariés du franchiseur, l’article 29 bis A porte (…) atteinte à la liberté d’entreprendre. De même, en imposant au franchiseur de mettre en place des institutions représentatives d’un personnel qui n’est pas le sien, l’article 29 bis A méconnaît le 8ème alinéa du préambule de 1946 ».

Acte 3 : « C’est un malheur du temps que les fous guident les aveugles » (in Le Roi Lear de Shakespeare)

Saisie en seconde lecture – après l’échec prévisible de la Commission Mixte Paritaire – la commission des affaires sociales de L’Assemblée Nationale n’a malheureusement pas voulu entendre raison et – mue par des considérations très éloignées des réalités des réseaux – a fait renaître cette « instance de dialogue ». Certes, le seuil initial des 50 salariés a été relevé à 300 et le régime juridique de cette « instance de dialogue » a été allégé. Le ver est cependant toujours dans le fruit et c’est peu dire pourtant que les motifs qui devraient justifier sa création sont minces voire inconsistants : ainsi, il faudrait, selon le Rapporteur du texte, Monsieur le Député Christophe Sirugue, « un lieu dans lequel on puisse débattre des éléments qui ont un impact sur les conditions de travail des salariés du réseau, par exemple le fait de porter la même tenue dans tout le réseau, les horaires d’ouverture, certaines incitations à la vente qui permettent une rémunération différenciée » ! On est très loin de la réalité économique et juridique de la franchise qui favorise la réitération d’un succès et la transmission d’un savoir-faire, dans le respect de l’image de marque du réseau.

Et si tels sont les motifs censés justifier cette « instance de dialogue », pourquoi viser les seuls réseaux de franchise ? Uniformes, horaires d’ouverture ou incitations à la vente ne sont en rien les traits caractéristiques de la franchise et le législateur ne saurait introduire ici une discrimination au mépris du principe – à valeur constitutionnelle – d’égalité devant la loi. Si d’ailleurs la Fédération du Commerce Associé comme d’autres fédérations regroupant concessionnaires ou licenciés se sont émues, c’est bien parce la franchise ne serait qu’une première étape de l’expérimentation à laquelle voudraient se prêter les zélateurs de cette pseudo modernisation du dialogue social. La franchise n’a pas à servir de marchepied aux syndicats ou – pour reprendre l’expression de Monsieur Guivarch, Secrétaire général de la fédération services à la CFDT – à permettre de « commencer à mettre un pied dans la porte en créant une instance de dialogue et montrer à partir de là ce qu’elle peut apporter aux salariés comme aux entreprises » !…

Epilogue : « Le fou se croit sage et le sage se reconnaît fou » (in Comme il vous plaira de Shakespeare)

Au moins doublement inconstitutionnelle apparaît ainsi cet article 29 bis A de cette loi qui – par-delà ses appellations successives – restera pour l’histoire la loi El Khomri. Et si – comme on peut le penser – les Sages du Palais Royal venaient à être saisis avant la promulgation de cette loi, gageons qu’il en expurge ce funeste article 29 bis A. Et quitte à faire mentir Shakespeare, ce ne serait pas là folie mais … sagesse !

* William Shakespeare (« La Comédie des erreurs », 1594)