Loi travail : « Franchisés, ne cédez pas aux sirènes de la désunion ! »

Tribune de Rémi de Balmann pour LSA

De même que l’urgence n’est certainement pas pour les franchiseurs de suppléer les lacunes de la loi pour envisager si, quand et comment ils devraient mettre en place l’instance de dialogue instituée par l’article 64 de la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnel, de même les franchisés ne sauraient aujourd’hui songer à « prendre l’initiative de la demande de création de (cette) instance (…) »ainsi que les y poussait, la semaine dernière dans ces colonnes, « le célèbre avocat des franchisés », mon confrère Serge Meresse.

Rien ne sert de courir…

Qu’il soit permis d’objecter qu’il y a pour le moins un paradoxe à soutenir dans un même mouvement que cette loi est mauvaise mais que cette loi existe et que, dès lors, il conviendrait de se précipiter pour la mettre en œuvre ?!…

Unis dans le combat, allons-nous aujourd’hui assister à une course de vitesse absurde opposant franchiseurs et franchisés dont les vainqueurs seraient ceux qui, les premiers, auraient expérimenté ce qui apparaissait – et apparaît toujours – aux uns et aux autres comme une instance contre-nature et contre-productive.

Plus que jamais et plutôt que de dispenser d’inopportuns conseils, souvenons de cette fameuse maxime d’Edmé François Pierre Chauvot de Beauchêne, chirurgien du Roi Charles X : « On brave le danger tant qu’on espère ; on s’y précipite quand on n’espère plus ».

Faut-il à cet égard rappeler que le législateur a lui-même soumis l’entrée en vigueur du dispositif devant régir cette instance de dialogue à un décret en Conseil d’Etat devant fixer « les conditions d’application (de l’article 64) (…) » ?

Dans un communiqué récent, la Fédération Française de la Franchise a souligné avec raison, sous la signature de son Président, Monsieur Michel BOUREL, et de sa déléguée générale, Madame Chantal ZIMMER, que : « Même si nous n’avons pas réussi à faire retirer cet article de la loi parce que la politique a eu raison de l’économie, nous sommes parvenus (…) à une version très édulcorée. A ce jour, il n’y a pas d’urgence, la loi n’entrera en vigueur qu’à la publication du décret d’application ».

Encore un long parcours juridique avant l’éventuelle application

Pourquoi dès lors – du côté des franchiseurs et de leurs conseils – se faire les supplétifs du Gouvernement alors même que ce dernier – une fois son projet de décret élaboré – sera tenu de le soumettre au Conseil d’Etat, lequel devra rendre un avis sur sa régularité juridique. Projet de décret et examen par le Conseil d’Etat dont personne ne comprendrait – eu égard aux vrais urgences – qu’ils fassent l’objet d’un traitement prioritaire et – eu égard à la gravité du sujet – qu’ils soient pris à la va vite !

Quant aux franchisés et n’en déplaise à l’un de leurs plus ardents défenseurs, il est faux de prétendre qu’ils pourraient prendre l’initiative de mettre en place cette instance de dialogue, « ce que la loi permet puisqu’elle ne l’interdit pas ».

C’est oublier que, dans sa version d’origine (article 29 bis A du projet de loi Travail), il était prévu que « la convocation de la négociation du protocole d’accord (destiné à mettre en place l’instance de dialogue) » devrait intervenir non seulement « sur demande d’une organisation syndicale représentative au sein de la branche ou ayant constitué une section syndicale au sein d’une entreprise du réseau », mais également « sur demande d’au moins une entreprise du réseau ».

Or et dans version finale, ce n’est plus que « lorsqu’une organisation syndicale représentative au sein de la branche ou de l’une des branches dont relèvent les entreprises du réseau ou ayant constitué une section syndicale au sein d’une entreprise du réseau le demande (que) le franchiseur engage une négociation visant à mettre en place une instance de dialogue social commune à l’ensemble du réseau ».

Quel type de franchise solidaire ?

Le « conseil » donné aux franchisés de solliciter la mise en place d’une instance de dialogue est dès lors non seulement contraire au discours unanime tenu jusqu’ici par les franchiseurs comme par les franchisés mais est aussi contraire à la volonté clairement exprimée par le législateur !

Et si l’on a coutume de dire que tout ce qui n’est pas interdit est permis, encore faut-il rappeler que ce sacro-saint principe ne s’applique qu’au droit pénal et nullement au droit des affaires.

Dans d’autres colonnes et dans des temps pas si lointains (in www/franchise-magazine.com, 20/07/16), mon confrère Serge Meresse a d’ailleurs lui-même souligné que : « La loi adoptée a supprimé la possibilité pour les franchisés de demander la création de l’instance de dialogue, faculté qui existait dans la version du 29 juin. (…) ».

Il ne s’agissait là nullement d’une remarque anodine mais bel et bien de déplorer un « revirement législatif » qui invalide radicalement son « conseil » d’aujourd’hui. On voit d’ailleurs de manière grossière l’amalgame qui sous-tend ce « conseil pour se préparer au mieux » ?!…

Ainsi donc et après avoir tenu un discours convergent, les franchisés devraient désormais « constituer sans tarder des associations (…) dans leur réseau pour organiser leur représentation dans l’instance et réfléchir aux moyens à mettre en place pour être une force de proposition active » ! Sans excès, on dira que ce serait là se rendre complice d’une supercherie consistant à vouloir donner sens et vie à une institution jusqu’ici dénoncée – avec raison – comme portant atteinte au principe d’indépendance entre franchiseurs et franchisés et entre les franchisés eux-mêmes.

Qui ignore encore que de nombreuses associations de franchisés existent dans les réseaux ?

Et l’idée sous-jacente ne consisterait-elle pas à muer ces nouvelles associations en véritables syndicats de franchisés, revenant ainsi à l’esprit initial et funeste de feu l’article 29 bis A ?

Le parallèle est ainsi évident entre la volonté hier affichée par la C.F.D.T. de « commencer à mettre un pied dans la porte en créant une instance de dialogue et montrer à partir de là ce qu’elle peut apporter aux salariés comme aux entreprises » et ceux qui appellent de leur vœu une « franchise solidaire » dans laquelle, notamment, « les décisions stratégiques et opérationnelles qui concernent le réseau sont prises en commun » et « tout changement capitalistique chez le franchiseur (devrait) recevoir l’aval des franchisés ». (Serge Meresse in www/franchise-magazine.com, 02/10/13)…

Si « franchise solidaire » il doit y avoir, c’est celle qui consisterait – non pas à (re)commencer à opposer franchiseurs et franchisés comme d’autres voudraient opposer les salariés des réseaux de franchise aux autres salariés – mais bien à continuer en commun le combat contre cette instance de dialogue qui n’existe même pas encore (complètement) sur le papier !

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